Entre cinéma et salle des profs
Plus habitué à décrire le monde des soignants comme dans « Hippocrate », « Le Médecin de campagne » ou « La Première Année », le réalisateur, qui est aussi médecin et fils d’instituteurs, a écrit un roman passionnant qui nous plonge dans le coeur du monde. Les professeurs de salle sont issus d’un collège français « normal », c’est-à-dire sans problématique particulière de violence ou de laïcité. Le talent de ses acteurs fétiches, Vincent Lacoste, Louise Bourgoin, François Cluzet, ou encore du dernier-né de la bande, Adèle Exarchopoulos, donne tout ce qu’il peut à une œuvre qui raconte pour une fois la vie d’une école vue par les professeurs. .
Trente degrés à l’ombre. Un samedi après-midi de septembre, c’était comme le désert lorsque Thomas Lileti franchissait les portes du ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle, pour rencontrer le nouveau locataire du bâtiment. Gabriel Atal, vêtu d’un jean et de baskets, est auréolé de son nouveau statut d’homme d’autorité, après avoir décidé d’interdire l’abaya à l’école.
L’un vient défendre son film, l’autre l’aime beaucoup. Mais au-delà du cinéma, c’est de la situation et de la vie des enseignants que Thomas Lilti veut s’entretenir avec celui qui dirige désormais le plus grand bataillon de la fonction publique, 859 999 enseignants. Le dialogue commence immédiatement et spontanément.
Match parisien. Thomas Lilti, j’ai adopté la démarche d’un entomologiste pour faire entrer les spectateurs dans la salle des professeurs, l’endroit le plus secret des écoles.
Thomas Lilti. Quand j’écris mes films, il y a toujours une envie de me mettre dans une réalité très fidèle tout en la reconstruisant, car c’est de la fiction, avec du romantisme infusé dans mes personnages. C’était vraiment le métier d’enseignant que je voulais comprendre, c’est pourquoi j’ai choisi un collège « classique », où ça se passait bien et dont on ne parlait pas beaucoup en classe.
Gabriel Attal. C’est un très beau film, car il traite du métier d’enseignant, et en même temps, il montre ce que l’on peut parfois oublier : il s’agit de femmes et d’hommes qui peuvent être confrontés à des difficultés familiales et personnelles. Cela soulève également un certain nombre de questions sur l’autorité, le statut de l’enseignant et le respect des savoirs.
La France compte 60 millions d’entraîneurs, mais elle compte aussi 60 millions de ministres de l’Éducation nationale !
Gabriel Attal
lire turque J’ai le sentiment que les enseignants sont confrontés à une grande solitude en classe. C’est pourquoi j’ai choisi de montrer dans le film une équipe pédagogique très solidaire, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Ils ressentent une réelle douleur au travail avec le sentiment d’avoir perdu leur crédibilité, et tout le monde semble savoir mieux qu’eux comment ils doivent faire leur travail. Je pense aux parents d’élèves mais aussi aux politiques publiques.
Oui Il est vrai que chacun a sa propre opinion là-dessus. La France compte 60 millions d’entraîneurs, mais elle compte aussi 60 millions de ministres de l’Éducation nationale ! Je pense que les Français aiment leurs professeurs. Chaque année au Ministère nous menons une mesure qui montre que les trois quarts de la population ont une très bonne image d’eux-mêmes. Mais ce qui m’étonne, c’est que les enseignants ont une image dégradée de leur métier. Comment les réconcilier avec cela ? Bien entendu, cela dépend beaucoup de considérations et des conditions économiques.
Il ne se passe pas un mois sans que les enseignants soient confrontés à des drames humains, sociaux, économiques ou culturels dans leurs classes.
Thomas Lilti
lire turque C’est là le nœud du problème. J’en ai beaucoup parlé dans mes films sur les soignants : tous ces métiers « non marchands » se sentent incapables de faire correctement leur travail, ce qui génère beaucoup de souffrance.
Oui Je pense aussi que la question de la rémunération est importante. Aujourd’hui, il n’existe plus un seul enseignant titulaire commençant à moins de 2 100 € net par mois. Nous avons connu la plus forte augmentation de salaire depuis vingt ou trente ans. Bien entendu, cela n’épuise pas la question du soutien et de la promotion de la profession.

La politique d’un côté, le cinéma de l’autre, mais il existe une doctrine commune : ne jouez pas les figurants. Rue de Grenelle, le 9 septembre.
© Baptiste Giraudon
Ce qui frappe dans le film, c’est la solidarité entre enseignants, car elle est un remède à la solitude. Le professeur est seul face à sa classe. Gabriel Attal, vous en avez bien pris conscience ?
Oui Oui, c’est une vraie demande dont ils m’ont parlé lors de mes déplacements sur le terrain : plus de temps pédagogique entre les professionnels. Et pas seulement auprès des enseignants, mais aussi auprès de ceux qui accompagnent les élèves handicapés, qui sont désormais 130 000 dans les classes, deuxième métier de l’éducation civique.
lire turque Il ne se passe pas un mois sans que les enseignants soient confrontés à des drames humains, sociaux, économiques ou culturels dans leurs classes. Ils sont très touchés par l’échec de leurs élèves, qui eux, ne les connaissent que peu et ne connaissent pas leurs prénoms ! Ils n’imaginent même pas qu’ils peuvent avoir une vie de famille, une vie amoureuse ou des enfants. Parce que le professeur, c’est essentiellement le temps de cours et on le réfère toujours au nombre d’heures de cours, soit dix-sept heures par semaine. Mais on ne sait pas combien d’heures ils travaillent côte à côte. C’est un métier qui occupe une grande place dans la vie, car c’est un métier puissant, un métier d’engagement et de passion. On rentre le soir avec des problèmes d’élèves et avec cette question constante de légitimité : ai-je été un bon professeur ?
Oui D’autant qu’ils sont aussi confrontés à ce qui se passe dans la société. La relation avec les parents qui entrent parfois dans des logiques de consommation avec des envies de rationnement croissantes et parfois des menaces. J’ai vu des professeurs me dire que, dans certains cas, ils hésitent à donner une mauvaise note à un élève ! Lorsque nous parlons de restaurer leur pouvoir et leur position dans la société, c’est une question que nous devons garder à l’esprit.
Vous pouvez être très bon techniquement, mais lorsqu’il s’agit de gestion de classe, c’est une compétence en soi.
Gabriel Attal
Les questions de laïcité – nous réfléchissons depuis peu à l’interdiction de l’abaya – n’étaient pas intentionnellement présentes dans le film. Pourquoi ?
lire turque. Je voulais faire un film sur un collège ordinaire du point de vue des enseignants. Si l’on commençait brusquement à parler de la montée du sectarisme, ou des problèmes de laïcité ou de harcèlement, le film risquait d’être englouti.

Dans le rôle des enseignants assiégés, François Cluzet (au centre) et Adèle Exarchopoulos (à droite).
© Dr
Gabrielle Attal, avez-vous appris quelque chose sur la vie des enseignants en regardant ce film ? Existe-t-il notamment des tutoriels pour aider les débutants à appréhender le cours ? L’un des professeurs conseille au jeune Benjamin, interprété par Vincent Lacoste, de ne jamais tourner le dos à la classe, de porter des lunettes, de se couper les cheveux et de poser deux doigts sur le bureau pour paraître plus crédible.
Oui (Sourires.) Oui, j’ai vu ces « tutoriels » en ligne ou même sur ce DVD où le professeur explique comment essayer d’obtenir le silence en classe. C’est tout le sujet de la formation des jeunes enseignants. Vous pouvez être très bon techniquement en mathématiques, en physique, en histoire et en géographie, mais lorsqu’il s’agit de gestion de classe, c’est une compétence en soi. Le Président m’a donné un mandat assez large pour faire avancer ce sujet, notamment en créant de nouvelles écoles normales et en assurant une meilleure formation des jeunes enseignants. Se pose également la question centrale de la formation continue tout au long de sa carrière…
lire turque La question est : comment pouvons-nous gérer 30 étudiants tout en obtenant et en maintenant leur attention ? Il s’agit bien sûr de transfert de connaissances, mais pas seulement. C’est aussi transmettre comment vivre en société, et comment se respecter ! Je pense à l’une des enseignantes du film, interprétée par Adèle Exarchopoulos, qui dit : « Je n’étais pas une bonne élève », même si on voit bien qu’elle est l’une des meilleures enseignantes de l’école. Pour être un bon enseignant, il faut avoir des qualités humaines, pas seulement des connaissances.
Est-ce encore un métier sérieux après que sa valeur ait autant diminué ?
Thomas Lilti
Alors pourquoi ce titre « métier sérieux » ? N’est-ce pas sérieux d’être enseignant ?
lire turque J’aurais dû ajouter un point d’interrogation, car il y a de l’ironie là-dedans. Est-ce encore un métier sérieux après que sa valeur ait autant diminué ? Sur les réseaux sociaux, à l’occasion de la promotion du film, une série de commentaires désagréables se sont répandus tels que : « Encore un film sur ces professeurs paresseux qui ont quinze ou vingt semaines de congé par an. » Aujourd’hui, les jeunes qui déclarent à leur famille leur désir de devenir enseignants ne suscitent plus aucune admiration, alors même qu’il s’agit d’un métier qui est au cœur de nos vies et au cœur de la société.
Oui Bien sûr, c’est un travail sérieux ! Ce qui se passe à l’école est crucial, c’est l’assurance-vie dans la république. Bien sûr, nous avons du mal à recruter des enseignants, mais je ne pense pas qu’il y ait une crise professionnelle. Tout simplement, les jeunes d’aujourd’hui savent qu’ils ne feront pas le même métier toute leur vie. Vous devriez pouvoir leur dire : « Si jamais vous souhaitez faire autre chose, nous vous aiderons à le faire en améliorant les compétences que vous avez acquises en tant qu’enseignant. » Il faut créer un véritable centre de gestion des « ressources humaines ». Il a également décrété cet été permettre à ceux arrivant d’autres branches professionnelles et désireux de donner un sens à leur vie en devenant enseignants, de conserver les deux tiers de leur ancienneté pour éviter de perdre leur salaire.
lire turque Je crois que puisque les écoles deviennent des lieux où l’on peut s’épanouir professionnellement, il n’y aura plus de problème de carrière.